Dossier «L'Affaire du RER D» — Le Monde | ![]() | ![]() |
Au combat , en patron. Jacques Chirac est arrivé "armé" pour son traditionnel entretien télévisé du 14 juillet, très attendu par la majorité. Dans ses cartouches, une annonce forte : celle d'un referendum pour soumettre la Constitution européenne à l'avis des Français. Mais aussi quelques balles pour son ministre des finances, Nicolas Sarkozy, à qui il reproche d'avoir déjà ouvert la compétition présidentielle pour 2007.
M. Chirac a d'emblée affirmé qu'il était encore là pendant trois ans pour "confirmer l'essai" des deux premières années du quinquennat. Sur la Constitution européenne, le président de la République n'a pas eu besoin de consulter ses fiches ou de triturer longuement son stylo. Il avait les idées claires. "Fruit d'un effort de cinquante ans", cette Constitution est un "bon texte", a-t-il dit. "Les Français sont directement concernés et seront donc directement consultés", a-t-il enchaîné, jugeant que le 14 Juillet était une "bonne occasion" pour le leur dire.
Alors que tous les chefs de parti, favorables à une consultation populaire, le pressaient de faire connaître sa décision, M. Chirac a rappelé que le texte définitif de la Constitution n'était connu que depuis trois semaines. Fixant l'échéance du référendum au second semestre 2005, il s'est engagé à faire campagne. Les risques de voir cette consultation détournée de son objet existent, mais il a souligné qu'il avait "confiance dans les Français".
Il souscrit ainsi à une tradition gaulliste et place les socialistes, divisés sur cette question, devant leurs responsabilités. "Je ne crois pas qu'un responsable politique digne de ce nom, aujourd'hui, puisse sérieusement, sauf à faire revenir la France cinquante ans en arrière, contester le caractère positif" de la Constitution, a-t-il dit. Le chef de l'Etat a aussi souligné que les socialistes ont été, à la Convention européenne, "tout à fait sur la même ligne" que son président, Valéry Giscard d'Estaing. Il a d'ailleurs rendu hommage à ce dernier pour son " impulsion décisive" et déclaré qu'il "aura bien mérité de l'Europe de demain". Un rival d'hier, avec lequel M. Chirac a, en somme, renoué.
"QUE CHACUN EXÉCUTE"
Que la querelle est brûlante, en revanche, avec M. Sarkozy ! Une première fois, M. Chirac a refusé de polémiquer sur la prise de position du ministre à propos des 35 heures. Mais, lorsqu'il a été interrogé sur le "différend" concernant le budget de la défense, M. Chirac, chef des armées, a vu rouge : "Il n'y a pas de différend entre le ministre des finances et moi pour une raison simple : c'est que, notamment s'agissant de la défense, je décide et il exécute", a-t-il lancé.
Dans la salle des fêtes de l'Elysée se sont succédé, en quelques secondes, un silence stupéfait, une vague de rires puis une salve d'applaudissements. Cette colère présidentielle, si longtemps rentrée, n'était pas terminée. "J'ai examiné moi-même le budget de la défense et j'ai pris les décisions", a précisé le chef de l'Etat, justifiant les dépenses. "Je ne vois pas pourquoi on fait une polémique, qui me paraît beaucoup plus inspirée par des raisons de politique avec un petit "p" que par des raisons de défense de l'intérêt général", a-t-il enfin ajouté.
Et si M. Sarkozy avait encore un doute sur l'effet produit par ses prises de position répétées, il a été levé : "Personne n'est obligé d'être ministre. J'entends que chacun exécute", a tranché le président, beaucoup plus animé dans cet exercice que pour parler des critères du pacte de stabilité ou de la future loi d'orientation - qu'il a improprement dénommée "loi de programmation" - sur l'école.
"Je n'ai pas de problème de relations avec Nicolas Sarkozy", a-t-il aussi assuré. Mais il l'a d'ores et déjà averti, en réaffirmant l'incompatibilité entre la présidence de l'UMP et l'appartenance au gouvernement, qu'il aurait des concurrents dans cette compétition : "Si tel ou tel ministre - car il y en a plusieurs qui semblent intéressés - veut se lancer dans la campagne, s'il est élu président de l'UMP, il démissionnera immédiatement ou je mettrai fin immédiatement à ses fonctions", a asséné M. Chirac.
Le chef de l'Etat s'est montré plus laborieux, usant parfois de formules maladroites, pour expliquer son action. À propos de la fausse agression du RER, il a vilipendé " les manifestations d'ordre raciste, qu'elles mettent en cause nos compatriotes juifs ou musulmans ou d'autres, tout simplement parfois des Français". Il ne " regrette pas" d'avoir réagi trop vite à ce fait divers et demande que " le manipulateur soit sanctionné avec toute la rigueur de la loi".
M. Chirac voulait aussi annoncer une bonne nouvelle confirmée par les " témoignages des meilleurs experts": la reprise de la croissance qui "permettra une amélioration de la situation de l'emploi". Cette reprise ne permettra toutefois pas de poursuivre la promesse de baisse d'impôts : une pause d'un an est prévue.
Le chef de l'Etat a demandé l'ouverture de concertations sur les 35 heures, "dans le respect de trois principes" : respect de la durée légale du travail, liberté accrue pour les heures supplémentaires, augmentation de salaires pour ceux qui travailleront plus. "On ne peut pas accepter qu'un chômeur refuse éternellement un emploi", a aussi souligné M. Chirac pour justifier la mise en place d'un nouveau système d'accompagnement des chômeurs. Pour le cas particulier des intermittents, le président, dénonçant " les abus, nombreux, dans un certain nombre de grandes maisons", a souhaité "qu'on arrive à une solution définitive".
Il s'est également prononcé sur les problèmes de société, souhaitant "qu'on améliore" le pacs. Le garde des sceaux est invité à faire rapidement des propositions pour une "réhabilitation, y compris matérielle importante" des personnes qui ont été injustement détenues. M. Chirac a aussi décerné quelques bons points ; à Philippe Douste-Blazy pour sa réforme de l'assurance-maladie, à Pascal Clément, président de la commission des lois de l'Assemblée, pour son rapport sur les récidivistes. Mais guère à Jean-Pierre Raffarin qu'il assure de "tout -son- appui dans l'autorité nécessaire pour avoir un gouvernement qui ne tire pas à hue et à dia."
Béatrice Gurrey
Huit référendums sous la Ve République
Le 8 janvier 1961. Le projet sur "l'autodétermination des populations algériennes" recueille 74,9 % de "oui".
Le 8 avril 1962. Les accords d'Evian sur le cessez-le-feu en Algérie sont approuvés à 90,8 %.
Le 28 octobre 1962. L'instauration de l'élection du président de la République au suffrage universel direct est adoptée avec 62,2 % de "oui".
Le 27 avril 1969. Les Français rejettent le projet de réforme du Sénat et la régionalisation à 53,17 %, ce qui provoque la démission du général de Gaulle.
Le 23 avril 1972. L'élargissement de l'Europe, notamment à la Grande-Bretagne, est adopté avec 67,70 % des suffrages.
Le 6 novembre 1988. Le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie recueille 80 % de "oui".
Le 20 septembre 1992. Le traité de Maastricht est approuvé avec 51,05 % de "oui".
Le 24 septembre 2000. La réduction de sept à cinq ans du mandat présidentiel recueille 73,21 % des suffrages.